L’enfermement ne se montre pas. Il s’insinue.

Des feuilles quadrillées de plus de 150 ans aux dos de réclames pour bébé, certains de ces supports fragiles devront bientôt disparaître des yeux du public afin d’éviter la détérioration de l'encre déposée par ces âmes innocentes.

Entrer. Être face à un mur. On ne s'y attend pas, mais on va bel et bien comprendre l'enfermement pendant cette visite, mais pas seulement. L’espace se resserre puis s’ouvre brutalement. Le couloir nous porte, engorgé des dessins de Marcel Gillis. Au bout, on tourne la tête à gauche et l’on ressent, tout de suite, l'immensité de la scénographie, quatre sanctuaires, quatre tombeaux noirs et vitrés. Dans cette obscurité, aux hauts murs, des lettres de velours, celles de quatre protagonistes empêchés de liberté.

Mes premiers pas m'amènent vers un packaging d’aliment transformé, une typographie à lire « et seulement prêt en 3 minutes avec Le Petit Pâtissier ». L’on comprend que l’arrière de ce support était utilisé par Fernand Dumont pour résister.

Alors surgit un cri d’amour confisqué

« Nous avons rêvé d'elle et nous en rêverons toutes les nuits. Nous avons parlé d'elle et nous en parlerons tous les jours jusqu'à ce qu'ils nous la rendent. »

Sept lettres : LIBERTÉ

« Bombe tombée à − de 100 m juste au débouché de la rue des Clercs sur le Square Saint-Germain. On l'a échappé belle ! Décidé de filer tout de suite. On charge en hâte avec Basile … »

Et puis l’intime

« Mon cher Grand Amour, Voici enfin une occasion de t'écrire que j'attends avec impatience… »
« … ses yeux couleur de ciel et son ombre lilas démesurée »
« Où est-elle ? À la maison
Que voit-elle ? Notre absence
Que dit-elle ? Que c'est triste
Qu'attend-elle ? Notre retour »

« Dans le carré de ciel qui me reste pour rêver je vois un doigt de feu calligraphier son nom »

« Si tu dessines laisse courir ta main sur la page de neige la fleur de ton profil s'ouvrira sous ta plume »

Chaque feuillet brûle encore sous nos silences. Happés par la photographie de Pierre Liebaert. Traversée de diffractions lumineuses, celle-ci nous dévoile le revolver qui a tiré sur Rimbaud. 

Avec Paul Verlaine, la feuille devient territoire.

« De toutes les douleurs douces,
Je compose mes magies !
Paul, les paupières rougies,
Erre seul aux Pamplemousses.
La folle par amour chante
Une ariette touchante.
C'est la mère qui s'alarme
De sa fille fiancée,
C'est l'épouse délaissée
Qui trouve un sévère charme
À s'exagérer l'attente
Et demeure palpitante.
C'est l'amitié qu'on néglige
Et qui se croit méconnue. »

« Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte
Grise dans le noir.
On sonne la cloche
Dormez, les bons prisonniers !
On sonne la cloche
Faut que vous dormiez
Pas de mauvais rêve,
Ne pensez qu'à vos amours.
Pas de mauvais rêve
Les belles toujours ! »

« Écrire vers le dehors, n'écrire plus seul »
« Écrire depuis soi, depuis ce dedans clos »

Seules les lettres permettent de rendre visibles les pensées de ces prisonniers, de les relier aux êtres aimés, au dehors, à l'humanité. On ne peut qu'être ému, touché, transcendé. Ces écritures, minuscules et serrées, font résonner l'universalité.

Marguerite Bervoets, dont la vie a été arrachée. Comme pour nous empêcher de nous y attarder davantage avant que sa plume n'ait pu livrer tout ce qu'elle portait.

« N'ayez pas de haine contre le peuple allemand. Il est bon, comme tous les autres, et a l'amour de la paix. J'ai pu souvent apprécier sa beauté et son courage. Comme nous, il est victime d'une éruption de violences, d'un volcanisme historique… »

« Je m'attends à quitter bientôt un lieu où j’ai longuement et durement souffert. Je sais que je ne le quitterai pas sans émotion, car j'y ai appris, par la douleur même, à mieux aimer. Apprendre à mieux aimer ! N'est-ce pas, somme toute, le sens même de la vie ? »

Sa cellule photographiée
« … Son ultime cellule.
Son dernier jour, sa dernière nuit.
Et sur le mur, de sa main : Marg. Bervoets. »

Cécile Detournay, amie de Marguerite et résistante belge membre du service de résistance TEGAL (40-45), nous rappelle qu'« un tout petit crayon qui fut long un jour » suffit à maintenir l'humanité vivante.

Une chose marquante, l'espace dédié à l'écriture. Plus aucun interstice n'est laissé au hasard. La feuille devient lieu d'émancipation, de liberté, de souvenir. Pourtant, Cécile aère sa mise en page pour sublimer les références des livres de Maeterlinck. Comme pour nous montrer l’importance de ceux-ci, l’espace de (sur)vie qu’il donne à entendre, réapprendre et ressentir.

Après s’être laissé baigner de ces univers en écho, l’heure est venue d'entrer dans un nouvel espace et laisser l'anima souffler. Tendez l’oreille aux bribes de poèmes, d'écrits, de vies, d'absences à recomposer…

« [Il est] effrayant d'oser découvrir l'or caché sous tant de pourriture » Jean Genet

« Tant que tu pourras contempler le ciel sans crainte, tu sauras que tu es pure intérieurement et que malgré les ennuis tu retrouveras le bonheur. » Anne Frank

« La terre nous est étroite. Elle nous accule dans le dernier défilé et nous nous dévêtons de nos membres pour passer. Et la terre nous pressure. Que ne sommes-nous son blé, pour mourir et ressusciter. Que n’est-elle notre mère pour compatir avec nous. … un olivier montera de notre sang. » Mahmoud Darwich

Un soir d’octobre, au Théâtre du Manège, l'artiste Karelle Ménine a proposé à Sandrine Bonnaire une mission particulière, exercer la force du souvenir et incarner des mots oubliés. Seule face à nous, dans un fin filet de lumière, accompagnée de musiques méticuleusement choisies.

Tout commence par la violence nue. Le rapport médical précédant l’incarcération de Verlaine. Un document où son intimité est exposée sans scrupule, sans pudeur, sans humanité. On y détaille crûment ses pratiques sexuelles, insistant sur le fait qu'il aurait eu « l'habitude de recevoir des pénétrations anales ». Face à cette violence institutionnelle qui dénude et accuse un homme bien au-delà de son geste, la compassion nous saisit. On comprend rapidement que son homosexualité dérange davantage les autorités de l'époque que le coup de feu tiré sur Rimbaud.

S'installe alors une transe profonde entre la voix de Sandrine Bonnaire et les spectateurs venus nombreux pour partager un songe intemporel.

Tout ceci nous pousse aussi à questionner ce que nous faisons de la question de l'enfermement, de la punition, du civisme. Plus on construit de prisons, plus on construit de violence.

« Songe, en un mot, que c'est pour rendre heureux tes semblables, pour les soigner, pour les aider, pour les aimer que la nature te place au milieu d'eux, et non pour les juger. » 

Infos pratiques

Exposition « L'esprit carcéral » 
Une visite guidée est prévue, ce 09-11-2025 de 14:30 à 16:00 au Mons Memoriel Museum. Le musée est ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h.

Pour aller plus loin :
Karelle Ménine et le photographe Pierre Liebaert ont été les commissaires de l’exposition :

Pierre LiebaertLibre Maintenant
Karelle MénineUne révolution arachnéenne
Karelle Ménine - La Phrase, expérience de poésie urbaine, avec Ruedi Baur, Alternatives Gallimard, 2016
Karelle Ménine - 9m2, ouvrage collectif consacré à la lutte contre la surpopulation carcérale (Actes Sud), avec notamment Cabu, Raymond Depardon, Florence Aubenas, Marie Desplechin, Ernest Pignon-Ernest…

À voir en cette fin de semaine au Théâtre le Manège : 

Maria et les oiseaux (Histoires de Belgique)
06 & 07 novembre — Théâtre le Manège
Thomas Depryck et Antoine Laubin / De Facto

« Une expérience théâtrale joyeuse et forte qui, en sillonnant les huit dernières décennies de la Belgique francophone, trace les sentiers d'une mémoire collective. »
Réservations

Publié le 4 Novembre 2025 par

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