Le parcours de vie d’Anna a vraisemblablement conditionné son œuvre.
Car si certains regardent les guerres d’invasion dans le poste, d’autres, comme Anna, les ont vues de près.
Anna Baryshnikova expose à la galerie Fracas, sa scénographie tient de l’exutoire et c’est un peu plus corrosif qu’un JT.
Le plus choquant dans les infos, ce ne sont pas tant les reportages que la façon dont on les perçoit. On connaît tous ce sentiment d’indifférence indolente, celle qu’on affiche souvent à l’heure des repas alors qu’on empoigne négligemment le flacon de mayo en regardant les chars tirer…
La médiatisation des guerres, c’est ça... Des chiffres, des images d’explosion, un plan bref de civière à l’occasion, et une ribambelle de débats politiques soporifiques…
Finalement, un reportage de guerre en Ukraine en plein souper, c’est un peu comme une partie de Call of Duty.
Sauf qu’il y a les gens… Les morts, les déplacés, les mutilés et ceux qui se retrouvent séparés des leurs …
Et si certains croient en la capacité de l’homme à s’émouvoir de l’infini… Force est de constater que des progrès restent à faire en matière de souffrances individuelles.
Anna n’est ni décédée, ni même mutilée, elle a simplement été, un jour de 2022, amputée de son avenir.
Un destin qui semblait tout tracé pourtant… Des études de droit bien entamées et la ferme conviction d’un avenir sans nuage…
Jusqu’à ce que tombent les bombes...
2022 toujours...Anna, vingt ans, descend d’un train, seule, elle ne parle pas le français.
Qu’à cela ne tienne, Anna est sure de deux choses… En premier lieu elle est vivante, ensuite elle est persuadée qu’une langue peut s’écrire, se parler mais également se peindre.
Ça tombe bien, elle aime dessiner.
Autodidacte, elle s’inscrit à ARTS², dès lors la probabilité d’un scénario lacrymogène à la Oliver Twist va doucement quitter le domaine des certitudes.
Anna apprend vite, bosse, s’intègre, elle est omniprésente aux cours, aux ateliers, fuyant son petit kot étriqué pour prendre ses marques au Faisan…
Anna est effectivement partout, à en devenir indispensable…La mascotte du C.R.C. se métamorphose rapidement en créatrice à part entière.
Quant à son expo en la galerie Fracas, elle n’a pas besoin de notice explicative… "Truies-matriochkas" écarlates, popes patibulaires et soldats russes se livrent bataille au sein d’une partie d’échecs infernale, des missiles « phallimorphes »,une colonne Morris bigarrée, des caricatures nauséeuses de puissants de ce monde et même une interprétation personnelle de l’Enfer de Dante de Botticelli y tournent comme des chiffons sales pris dans le tambour d’un lave-linge… Histoire de savonner, rincer puis vidanger un esprit qui, expurgé d’images violentes, se sent à nouveau capable de se projeter dans un avenir qu’on espère par ailleurs serein.
Certains penseront que cette chronique met l’accent sur le cursus personnel d’Anna au détriment de son œuvre.
Ils ont tort… L’Anna d’aujourd’hui et son travail ne font qu’un.
Issus tous deux d’une terrible période charnière, l’une eût été inconcevable sans l’ autre…
Au delà de l’expression autant talentueuse que virulente d’un stress post-traumatique, sa production est également le résultat concret d’une intégration et d’une affirmation de soi qui forcent le respect.
2024: Anna n’est plus seule, grâce à sa ténacité et à son savoir-faire, elle a intégré le clan des Artistes.
Bonne chance dans ta vie Anna.
Galerie FRACAS 50, rue des capucins - 7000 Mons
Horaires de l'exposition : Mer-Ven 10h-18h / sam 11h- 19h.
À bientôt ?
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