L’hygiène des cellules grises
Chronique et photos de Daniel Godart
Finalement, les œuvres d’art, c’est comme les médicaments.
Certaines, les effervescentes dirons-nous, agissent immédiatement en allant droit au but, d’autres, par contre, celles à « effet retard » vont, de par leur dissolution lente dans le dédale complexe des boyaux, ébranler les sens sur le long terme.
Ça tombe bien, les productions de Pascal Bernier jouent sur les deux tableaux.
On avait déjà croisé l’ univers de l’artiste en 2016… On y avait ressenti un mélange interpellant de mort, de vie, de tourments doux-amers et de blessures pansées… Ainsi que quelques bonnes rasades d’un humour qui, pour le coup, n’avait jamais autant mérité sa définition de politesse du désespoir.
On aimerait croire Mons artistiquement attirante…, en tout cas, on n’a jamais été aussi proches d’en être convaincus… Parce que figurez-vous que Pascal Bernier revient.
Et toujours à la Thanksgalerie, même si celle-ci a, depuis peu, changé d’adresse.
Le Saint-Gillois est de retour, bardé de masques et de bunkers…
LES MASQUES FUNÉRAIRES…
GOLDEN ATLANTIC WALL…
Des bunkers quoi…
Vous savez, ces gigantesques parpaings à moitié envasés, stigmates pathétiques d’orgueils belliqueux (pour l’instant) oubliés, réduits désormais à tenir le rôle d’abris pour rendez-vous louches, beuveries d’ados,voire même pour d’éventuels soulagements défécatoires.
De nos jours, le syndrome du bunker reprend vigueur, il suffit pour s’en convaincre de jeter un œil du côté des « communautés fermées » aux États-Unis, ainsi que vers la mouvance survivaliste, un des nombreux délires extrémo-droitistes qui voit dans le couteau suisse, l’empilage de conserves,la lampe de poche et l’arme semi-automatique des solutions radicales aux problèmes que causeront ceux qui n’auront rien prévu. C’est triste mais c’est un fait, le vaisseau « Humanité » prend de la gîte sur tribord ces temps-ci, dès lors ce type d’égarement paranoïaque est promis à un grand avenir…
Enfin, non, à une absence d’avenir, en fait.
Soit… Revenons à nos fortins.
L’idée géniale de l’artiste est ici de réorienter le concept du blockhaus (les plans sont ceux d’authentiques casemates nazies de la Seconde guerre mondiale) en y adjoignant, une dimension esthético-décalée.
Feuilles d’or, rouges sang et bleus pétants qui paraissent provenir de la palette exhumée d’un Fra Angelico ou d’un Filippo Lippi s’appliquent à endimancher les épures des fortifications de l’oncle Rommel…
De la dérision bien bétonnée sur base de détournement temporel multiséculaire, à la fois audacieuse et impertinente, en quelque sorte…
À moins qu’il ne s’agisse d’une tentative d’envisager le bunker non plus comme une masse grise et austère, mais comme un habitat luxueux, promis à un avenir flamboyant, voire sacré.
On serait donc à l’aube d’une ère nouvelle ?
Une ère placée sous le signe de la sanctification des bétonnières, une ère entière consacrée à se protéger des autres et de nous-mêmes.
Quelque part, aux alentours du point d ‘équilibre entre le ricanement irrévérencieux et l’ironie désabusée, Pascal Bernier œuvre... Pour le plaisir des yeux et l’hygiène des cellules grises.
Ah !… J’allais oublier… Pensez à aller dire bonjour au chien d’en face… Mais faites attention hein…